ENTRETIEN. Grâce à la prise en compte de cette anxiété qui touche la plupart des enfants, la psychologue Véronique Lemoine a soulagé bien des familles.
Son nom se transmet de bouche-à-oreille entre parents épuisés. Certains ont parfois tout essayé avant de tomber sur elle et d’enfin trouver une solution à leur problème. Quel genre de problème ? Très souvent, des troubles du sommeil : un enfant incapable de s’endormir seul ou qui se réveille cinq fois par nuit, un autre qui se frappe la tête contre les barreaux de son lit ou qui se remet à faire pipi sur lui toutes les nuits alors qu’il était propre… Mais aussi des nourrissons qui hurlent dès que leur mère s’éloigne de la pièce, des bébés qui refusent toute diversification, des enfants malades à la simple idée d’aller à l’école…
Des petits, des grands, des ados : la psychologue Véronique Lemoine reçoit tout le monde et à tout le monde elle répète les mêmes mots : angoisse de séparation. Théorisée à la fin des années 1990 par sa mère, Bernadette Lemoine, également psychologue, cette angoisse, « signe d’une souffrance liée à une séparation mal vécue dans la petite enfance », serait à l’origine d’un très grand nombre de difficultés chez l’enfant. Et c’est en la désamorçant que Véronique Lemoine résout (« miraculeusement », rapportent bien des parents) la plupart des situations plus ou moins infernales qui lui sont présentées. Autrice d’un Guide de survie à l’usage des parents, elle nous expose les tenants et aboutissants de sa méthode.
Le Point : Qu’est-ce que l’angoisse de séparation ?
Véronique Lemoine : C’est un trouble anxieux ou un état affectif pénible lié à une séparation traumatisante (actuelle ou redoutée) par rapport à une personne à laquelle l’enfant ou l’adolescent (et maintenant même l’adulte) est attaché. Et cette anxiété dépasse en sévérité le niveau que l’on pourrait attendre compte tenu du niveau de développement de l’enfant. Autrement dit, ce sont des réactions excessives, démesurées par rapport à une situation.
Concrètement, comment peut-on l’identifier ?
Le signe le plus courant de l’angoisse de séparation, ce sont les troubles du sommeil, sous quelque forme que ce soit. Donc des enfants qui ne peuvent pas s’endormir tout seuls, qui appellent tout le temps, pleurent indéfiniment, se relèvent sans cesse… Bien sûr, ça peut arriver de temps en temps. Mais quand ça devient presque systématique, quand une bonne nuit devient l’exception au lieu d’être la règle, il y a des chances qu’on soit face à une angoisse de séparation. Ça peut être aussi des troubles de l’alimentation : des enfants qui refusent de se nourrir, qui ont beaucoup de mal avec la diversification, etc. Et puis il y a les troubles psychosomatiques tels que l’asthme, les bronchiolites, les otites…
Évidemment, là aussi, c’est une question de fréquence et de durée. Un enfant qui tombe malade, c’est normal. Mais quand il attrape tous les microbes systématiquement, quand il a mal au ventre ou à la tête surtout les dimanches soir ou le matin avant de partir à l’école ou à la crèche, on peut se dire qu’il y a une angoisse de séparation. Enfin, il y a les troubles du comportement : des enfants qui ne peuvent rien faire par eux-mêmes, qui sont accrochés non-stop à leurs parents ; des enfants qui apprennent bien leurs leçons à la maison et sont incapables de les restituer à l’école, sont incapables de se concentrer… Parfois il s’agit d’enfants qui sont dans une telle angoisse qu’ils perdent leurs moyens.
Mais comment savoir s’il s’agit de ça ou d’autre chose ? Quel parent n’a pas de problème pour coucher ses enfants ? ! Est-ce qu’il ne s’agit pas aussi de phases « normales » qui finissent par passer ?
Non, si l’enfant a plus de trois mois et que ça dure plus de deux ou trois semaines, ce n’est pas normal. Certes, ça peut finir par passer seul, mais le risque, si on n’y pas apporté de véritable réponse, c’est que ça ressurgisse plus tard de façon plus forte.
Et quelle est la réponse à apporter ?
D’abord, il faut bien comprendre que le tout-petit ne vit qu’à travers sa figure d’attachement. Il sait que c’est sa figure d’attachement qui lui donne l’amour dont il a besoin. De même qu’on a besoin d’air pour respirer, le nourrisson a besoin d’amour pour grandir. Quand sa figure d’attachement s’en va, il a l’impression que c’est aussi l’amour qui s’en va et il se sent comme anéanti, comme si sa vie ne pouvait pas continuer sans l’amour dont il a besoin. En ce sens, l’angoisse de séparation est similaire à l’angoisse de mort : ma source d’amour est partie, moi, je ne peux pas me suffire à moi-même, je ne peux pas survivre.
N’est-ce pas un peu extrême de parler d’angoisse de mort ?
Un jour en consultation, ma mère a dit à un jeune ado, en reformulant son histoire de vie : « Et donc, tu t’es senti comme en danger de mort. » Et l’ado de répondre, presque soulagé : « Mais oui, c’est exactement ça, je me sentais comme si j’allais mourir. » Ça a aussi été mon expérience à plusieurs reprises et celles de mes confrères. Il faut savoir que les angoisses de séparation qu’on peut avoir, et ce dès le plus jeune âge, sont en lien avec les événements qui se sont passés en tout début de vie ou même in utero – bien sûr, il ne s’agit pas alors de séparation mais de fragilisation du fait d’un ressenti très désagréable pour le bébé, comme une mère en dépression, une mère qui subit un harcèlement à son travail, etc.
Boris Cyrulnik l’expose très bien dans son travail sur les 1 000 premiers jours : le bébé ressent tout, y compris dans le ventre, y compris à la naissance. Ça m’arrive souvent de rencontrer des bébés qui souffrent déjà d’angoisse de séparation à cause d’un accouchement qui s’est mal passé ou d’un séjour en service de néonatologie. Or, tant qu’il ne peut pas comprendre, l’enfant ne va rien pouvoir décoder correctement. Et à chaque fois, il va croire que c’est de sa faute et qu’il y a moins d’amour. Tout va être interprété en « je suis aimé, moins aimé, voire plus du tout aimé ». Dès qu’il va ressentir ce qu’il croit être un manque d’amour, il va se sentir en danger. À chaque événement, l’angoisse va s’accumuler, jusqu’à ce que ce soit trop pour lui et que ça déborde. Et que les signes évoqués plus haut se manifestent.
D’abord, justement, il faut faire connaître aux parents cette angoisse de séparation pour qu’ils puissent au moins se dire « peut-être que c’est ça ». Comprendre l’angoisse de séparation pourrait sauver beaucoup de parents. Plus on apporte une réponse rapide à cette angoisse, plus elle se résorbe facilement. Et la réponse est en fait assez simple : on reprend toute l’histoire de la vie de l’enfant depuis le départ pour donner du sens à ce qu’il n’a pas compris quand il était bébé.
On expose ce qu’il a pu ressentir et on lui explique que tout ça, c’est fini, que tout ce qu’il a cru et qu’il continue de croire et qui est à l’origine des troubles présentés par l’enfant, ce n’était pas vrai du tout. On remplace les fausses croyances par les bonnes. Et une fois que ces angoisses ont pu être apaisées, on va pouvoir se montrer ferme. Les choses doivent vraiment se faire dans cet ordre-là. Si on rassure l’enfant sans avoir une certaine fermeté après, si on est ferme, sans avoir rassuré l’enfant avant, ça ne marchera pas.
Ça paraît presque simple…
Mais souvent, ça l’est ! En trois rendez-vous, des problèmes qui durent parfois depuis plus d’un an peuvent se régler du jour au lendemain. Bien sûr, tout dépend de la nature des troubles. Mais, par exemple, sur les troubles du sommeil, je peux vraiment dire que c’est magique. Quand on a pu reprendre toute l’histoire de vie de l’enfant, qu’on a pu remettre des mots pour apaiser les angoisses et qu’ensuite on aide les parents à avoir la fermeté nécessaire pour rétablir un cadre sain, les choses rentrent dans l’ordre très rapidement.
Difficile d’imaginer qu’un nourrisson puisse « décoder l’histoire de sa vie » avec vous !
Et pourtant, je m’adresse à des nourrissons comme je m’adresse à des ados, avec les mêmes mots, la même façon de faire, et ça fonctionne ! Ça fonctionne même encore mieux qu’avec les grands, à vrai dire ! Un enfant qui a l’âge de raison comprend les choses mais il faut qu’il décide de croire ce qu’on lui dit. S’il n’a pas confiance, s’il refuse de croire, ça ne marchera pas. Le bébé, lui, sent le message d’amour qui lui est adressé et c’est son inconscient qui décrypte, qui se sent rejoint, compris et qui peut se dénouer au-delà de ce que je peux véritablement expliquer, parce que je dirais que ça me dépasse. Mais ça fait vingt ans que je pratique et je suis toujours émerveillée de voir la rapidité avec laquelle tout peut se résoudre.
Alors pourquoi cette méthode n’est-elle pas plus répandue ? Pourquoi ne parle-t-on pas davantage de l’angoisse de séparation ?
Le concept en lui-même existe depuis longtemps en psychologie, mais on le restreint généralement au huitième mois. On explique qu’à partir de huit ou neuf mois, le bébé commence à discriminer ce qui est sa figure d’attachement et va refuser de la quitter. L’intuition de ma mère a été de comprendre que cette angoisse peut en fait s’exprimer bien plus tôt et de différentes façons. Elle a pu constater au cours de ses années de pratique qu’à l’origine de beaucoup de troubles présentés par les enfants, il y a cette fameuse angoisse de séparation. Mais pour que ça devienne plus connu, il aurait fallu qu’elle publie scientifiquement, ce qu’elle n’a pas fait.
L’association MCAdS (Mieux Connaître l’Angoisse de Séparation) travaille à la formation des psychologues sur ce sujet. Nous en avons formé une quarantaine. On sensibilise aussi les parents pour qu’ils puissent prévenir cette angoisse. Mais c’est vrai que ça reste très confidentiel, malheureusement. Je reçois plein d’enfants qui ont été suivis par d’autres psychologues pour des troubles du sommeil sans aucun résultat parce que, hélas, on n’a pas enseigné ces choses-là dans les facs de psychologie. Cela dit, on progresse. Certaines facs commencent à en parler et, aujourd’hui, on est beaucoup plus attentif au ressenti du tout-petit.
Est-ce grâce à l’éducation bienveillante ?
Je ne suis pas du tout adepte de la psychologie bienveillante. Je suis bien évidemment pour le fait de pouvoir rejoindre l’enfant dans ses émotions, dans les capacités qui sont les siennes compte tenu de son âge de développement. Mais il ne faut pas oublier pour autant que les parents sont là pour donner un cadre dont l’enfant a impérativement besoin pour pouvoir se structurer correctement. J’ai le sentiment que cette psychologie bienveillante est mal comprise et que, du coup, c’est devenu n’importe quoi : les parents se mettent au même niveau que l’enfant, il n’y a plus de verticalité, plus de sanction, plus de limites.
Vous constatez des dégâts ?
Énormément. Aujourd’hui, rares sont les parents qui s’autorisent de façon détendue et assumée à poser des limites à leurs enfants. Aujourd’hui, je vois beaucoup de situations d’enfants qui présentent des troubles du sommeil énormes, mais avec des histoires de vie où il n’y a aucune matière à angoisse. Il y a dix ans, je ne rencontrais pas tous les problèmes de sommeil que je rencontre aujourd’hui. Jamais on ne me disait « je dois rester tous les soirs avec mon enfant jusqu’à ce qu’il s’endorme ». Maintenant, c’est toutes les semaines que j’entends ça. Un certain nombre de problèmes résultent de mauvaises habitudes parce que les parents n’ont plus les bons repères, on ne leur donne plus les bons repères.
Quels sont ces repères ?
Eh bien, par exemple, qu’à trois mois un bébé qui est en bonne forme physique, même s’il est allaité, doit être capable de s’endormir tout seul, de dormir toute la nuit sans se réveiller et de gazouiller le matin au réveil. Ça, c’est la chose normale. Quand on dit aux parents dès la maternité que surtout, surtout il ne faut pas laisser leur enfant pleurer, comment voulez-vous qu’ils fassent ensuite ? Ce sont des manques de repères qui font que les parents, sans s’en rendre compte, glissent sur de très mauvaises habitudes, qu’ils n’arrivent pas ensuite à enlever par eux-mêmes.
Attention, je ne dis pas qu’il faut laisser son bébé hurler indéfiniment et ne rien faire. S’il ne fait pas spontanément ses nuits, on vient une première fois, on lui parle, on lui explique qu’il est capable de dormir toute la nuit. Et la fois d’après, s’il se réveille, on revient pour lui dire que c’est la dernière fois qu’on vient parce qu’il faut qu’il apprenne à dormir toute la nuit. Et si vraiment, alors qu’on a pu rassurer l’enfant, qu’on sait que sur le plan médical il n’y a aucun souci mais que, malgré tout, il n’arrive pas à se consoler, on pense à l’angoisse de séparation et on se fait aider.
Son nom se transmet de bouche-à-oreille entre parents épuisés. Certains ont parfois tout essayé avant de tomber sur elle et d’enfin trouver une solution à leur problème. Quel genre de problème ? Très souvent, des troubles du sommeil : un enfant incapable de s’endormir seul ou qui se réveille cinq fois par nuit, un autre qui se frappe la tête contre les barreaux de son lit ou qui se remet à faire pipi sur lui toutes les nuits alors qu’il était propre… Mais aussi des nourrissons qui hurlent dès que leur mère s’éloigne de la pièce, des bébés qui refusent toute diversification, des enfants malades à la simple idée d’aller à l’école…
Des petits, des grands, des ados : la psychologue Véronique Lemoine reçoit tout le monde et à tout le monde elle répète les mêmes mots : angoisse de séparation. Théorisée à la fin des années 1990 par sa mère, Bernadette Lemoine, également psychologue, cette angoisse, « signe d’une souffrance liée à une séparation mal vécue dans la petite enfance », serait à l’origine d’un très grand nombre de difficultés chez l’enfant. Et c’est en la désamorçant que Véronique Lemoine résout (« miraculeusement », rapportent bien des parents) la plupart des situations plus ou moins infernales qui lui sont présentées. Autrice d’un Guide de survie à l’usage des parents, elle nous expose les tenants et aboutissants de sa méthode.
Le Point : Qu’est-ce que l’angoisse de séparation ?
Véronique Lemoine : C’est un trouble anxieux ou un état affectif pénible lié à une séparation traumatisante (actuelle ou redoutée) par rapport à une personne à laquelle l’enfant ou l’adolescent (et maintenant même l’adulte) est attaché. Et cette anxiété dépasse en sévérité le niveau que l’on pourrait attendre compte tenu du niveau de développement de l’enfant. Autrement dit, ce sont des réactions excessives, démesurées par rapport à une situation.
Concrètement, comment peut-on l’identifier ?
Le signe le plus courant de l’angoisse de séparation, ce sont les troubles du sommeil, sous quelque forme que ce soit. Donc des enfants qui ne peuvent pas s’endormir tout seuls, qui appellent tout le temps, pleurent indéfiniment, se relèvent sans cesse… Bien sûr, ça peut arriver de temps en temps. Mais quand ça devient presque systématique, quand une bonne nuit devient l’exception au lieu d’être la règle, il y a des chances qu’on soit face à une angoisse de séparation. Ça peut être aussi des troubles de l’alimentation : des enfants qui refusent de se nourrir, qui ont beaucoup de mal avec la diversification, etc. Et puis il y a les troubles psychosomatiques tels que l’asthme, les bronchiolites, les otites…
Évidemment, là aussi, c’est une question de fréquence et de durée. Un enfant qui tombe malade, c’est normal. Mais quand il attrape tous les microbes systématiquement, quand il a mal au ventre ou à la tête surtout les dimanches soir ou le matin avant de partir à l’école ou à la crèche, on peut se dire qu’il y a une angoisse de séparation. Enfin, il y a les troubles du comportement : des enfants qui ne peuvent rien faire par eux-mêmes, qui sont accrochés non-stop à leurs parents ; des enfants qui apprennent bien leurs leçons à la maison et sont incapables de les restituer à l’école, sont incapables de se concentrer… Parfois il s’agit d’enfants qui sont dans une telle angoisse qu’ils perdent leurs moyens.
Mais comment savoir s’il s’agit de ça ou d’autre chose ? Quel parent n’a pas de problème pour coucher ses enfants ? ! Est-ce qu’il ne s’agit pas aussi de phases « normales » qui finissent par passer ?
Non, si l’enfant a plus de trois mois et que ça dure plus de deux ou trois semaines, ce n’est pas normal. Certes, ça peut finir par passer seul, mais le risque, si on n’y pas apporté de véritable réponse, c’est que ça ressurgisse plus tard de façon plus forte.
Et quelle est la réponse à apporter ?
D’abord, il faut bien comprendre que le tout-petit ne vit qu’à travers sa figure d’attachement. Il sait que c’est sa figure d’attachement qui lui donne l’amour dont il a besoin. De même qu’on a besoin d’air pour respirer, le nourrisson a besoin d’amour pour grandir. Quand sa figure d’attachement s’en va, il a l’impression que c’est aussi l’amour qui s’en va et il se sent comme anéanti, comme si sa vie ne pouvait pas continuer sans l’amour dont il a besoin. En ce sens, l’angoisse de séparation est similaire à l’angoisse de mort : ma source d’amour est partie, moi, je ne peux pas me suffire à moi-même, je ne peux pas survivre.
N’est-ce pas un peu extrême de parler d’angoisse de mort ?
Un jour en consultation, ma mère a dit à un jeune ado, en reformulant son histoire de vie : « Et donc, tu t’es senti comme en danger de mort. » Et l’ado de répondre, presque soulagé : « Mais oui, c’est exactement ça, je me sentais comme si j’allais mourir. » Ça a aussi été mon expérience à plusieurs reprises et celles de mes confrères. Il faut savoir que les angoisses de séparation qu’on peut avoir, et ce dès le plus jeune âge, sont en lien avec les événements qui se sont passés en tout début de vie ou même in utero – bien sûr, il ne s’agit pas alors de séparation mais de fragilisation du fait d’un ressenti très désagréable pour le bébé, comme une mère en dépression, une mère qui subit un harcèlement à son travail, etc.
Boris Cyrulnik l’expose très bien dans son travail sur les 1 000 premiers jours : le bébé ressent tout, y compris dans le ventre, y compris à la naissance. Ça m’arrive souvent de rencontrer des bébés qui souffrent déjà d’angoisse de séparation à cause d’un accouchement qui s’est mal passé ou d’un séjour en service de néonatologie. Or, tant qu’il ne peut pas comprendre, l’enfant ne va rien pouvoir décoder correctement. Et à chaque fois, il va croire que c’est de sa faute et qu’il y a moins d’amour. Tout va être interprété en « je suis aimé, moins aimé, voire plus du tout aimé ». Dès qu’il va ressentir ce qu’il croit être un manque d’amour, il va se sentir en danger. À chaque événement, l’angoisse va s’accumuler, jusqu’à ce que ce soit trop pour lui et que ça déborde. Et que les signes évoqués plus haut se manifestent.
Que faire alors ?
D’abord, justement, il faut faire connaître aux parents cette angoisse de séparation pour qu’ils puissent au moins se dire « peut-être que c’est ça ». Comprendre l’angoisse de séparation pourrait sauver beaucoup de parents. Plus on apporte une réponse rapide à cette angoisse, plus elle se résorbe facilement. Et la réponse est en fait assez simple : on reprend toute l’histoire de la vie de l’enfant depuis le départ pour donner du sens à ce qu’il n’a pas compris quand il était bébé.
On expose ce qu’il a pu ressentir et on lui explique que tout ça, c’est fini, que tout ce qu’il a cru et qu’il continue de croire et qui est à l’origine des troubles présentés par l’enfant, ce n’était pas vrai du tout. On remplace les fausses croyances par les bonnes. Et une fois que ces angoisses ont pu être apaisées, on va pouvoir se montrer ferme. Les choses doivent vraiment se faire dans cet ordre-là. Si on rassure l’enfant sans avoir une certaine fermeté après, si on est ferme, sans avoir rassuré l’enfant avant, ça ne marchera pas.
Ça paraît presque simple…
Mais souvent, ça l’est ! En trois rendez-vous, des problèmes qui durent parfois depuis plus d’un an peuvent se régler du jour au lendemain. Bien sûr, tout dépend de la nature des troubles. Mais, par exemple, sur les troubles du sommeil, je peux vraiment dire que c’est magique. Quand on a pu reprendre toute l’histoire de vie de l’enfant, qu’on a pu remettre des mots pour apaiser les angoisses et qu’ensuite on aide les parents à avoir la fermeté nécessaire pour rétablir un cadre sain, les choses rentrent dans l’ordre très rapidement.
Difficile d’imaginer qu’un nourrisson puisse « décoder l’histoire de sa vie » avec vous !
Et pourtant, je m’adresse à des nourrissons comme je m’adresse à des ados, avec les mêmes mots, la même façon de faire, et ça fonctionne ! Ça fonctionne même encore mieux qu’avec les grands, à vrai dire ! Un enfant qui a l’âge de raison comprend les choses mais il faut qu’il décide de croire ce qu’on lui dit. S’il n’a pas confiance, s’il refuse de croire, ça ne marchera pas. Le bébé, lui, sent le message d’amour qui lui est adressé et c’est son inconscient qui décrypte, qui se sent rejoint, compris et qui peut se dénouer au-delà de ce que je peux véritablement expliquer, parce que je dirais que ça me dépasse. Mais ça fait vingt ans que je pratique et je suis toujours émerveillée de voir la rapidité avec laquelle tout peut se résoudre.
Alors pourquoi cette méthode n’est-elle pas plus répandue ? Pourquoi ne parle-t-on pas davantage de l’angoisse de séparation ?
Le concept en lui-même existe depuis longtemps en psychologie, mais on le restreint généralement au huitième mois. On explique qu’à partir de huit ou neuf mois, le bébé commence à discriminer ce qui est sa figure d’attachement et va refuser de la quitter. L’intuition de ma mère a été de comprendre que cette angoisse peut en fait s’exprimer bien plus tôt et de différentes façons. Elle a pu constater au cours de ses années de pratique qu’à l’origine de beaucoup de troubles présentés par les enfants, il y a cette fameuse angoisse de séparation. Mais pour que ça devienne plus connu, il aurait fallu qu’elle publie scientifiquement, ce qu’elle n’a pas fait.
L’association MCAdS (Mieux Connaître l’Angoisse de Séparation) travaille à la formation des psychologues sur ce sujet. Nous en avons formé une quarantaine. On sensibilise aussi les parents pour qu’ils puissent prévenir cette angoisse. Mais c’est vrai que ça reste très confidentiel, malheureusement. Je reçois plein d’enfants qui ont été suivis par d’autres psychologues pour des troubles du sommeil sans aucun résultat parce que, hélas, on n’a pas enseigné ces choses-là dans les facs de psychologie. Cela dit, on progresse. Certaines facs commencent à en parler et, aujourd’hui, on est beaucoup plus attentif au ressenti du tout-petit.
Est-ce grâce à l’éducation bienveillante ?
Je ne suis pas du tout adepte de la psychologie bienveillante. Je suis bien évidemment pour le fait de pouvoir rejoindre l’enfant dans ses émotions, dans les capacités qui sont les siennes compte tenu de son âge de développement. Mais il ne faut pas oublier pour autant que les parents sont là pour donner un cadre dont l’enfant a impérativement besoin pour pouvoir se structurer correctement. J’ai le sentiment que cette psychologie bienveillante est mal comprise et que, du coup, c’est devenu n’importe quoi : les parents se mettent au même niveau que l’enfant, il n’y a plus de verticalité, plus de sanction, plus de limites.
Vous constatez des dégâts ?
Énormément. Aujourd’hui, rares sont les parents qui s’autorisent de façon détendue et assumée à poser des limites à leurs enfants. Aujourd’hui, je vois beaucoup de situations d’enfants qui présentent des troubles du sommeil énormes, mais avec des histoires de vie où il n’y a aucune matière à angoisse. Il y a dix ans, je ne rencontrais pas tous les problèmes de sommeil que je rencontre aujourd’hui. Jamais on ne me disait « je dois rester tous les soirs avec mon enfant jusqu’à ce qu’il s’endorme ». Maintenant, c’est toutes les semaines que j’entends ça. Un certain nombre de problèmes résultent de mauvaises habitudes parce que les parents n’ont plus les bons repères, on ne leur donne plus les bons repères.
Quels sont ces repères ?
Eh bien, par exemple, qu’à trois mois un bébé qui est en bonne forme physique, même s’il est allaité, doit être capable de s’endormir tout seul, de dormir toute la nuit sans se réveiller et de gazouiller le matin au réveil. Ça, c’est la chose normale. Quand on dit aux parents dès la maternité que surtout, surtout il ne faut pas laisser leur enfant pleurer, comment voulez-vous qu’ils fassent ensuite ? Ce sont des manques de repères qui font que les parents, sans s’en rendre compte, glissent sur de très mauvaises habitudes, qu’ils n’arrivent pas ensuite à enlever par eux-mêmes.
Attention, je ne dis pas qu’il faut laisser son bébé hurler indéfiniment et ne rien faire. S’il ne fait pas spontanément ses nuits, on vient une première fois, on lui parle, on lui explique qu’il est capable de dormir toute la nuit. Et la fois d’après, s’il se réveille, on revient pour lui dire que c’est la dernière fois qu’on vient parce qu’il faut qu’il apprenne à dormir toute la nuit. Et si vraiment, alors qu’on a pu rassurer l’enfant, qu’on sait que sur le plan médical il n’y a aucun souci mais que, malgré tout, il n’arrive pas à se consoler, on pense à l’angoisse de séparation et on se fait aider.
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